La Tunisie attire à nouveau les foules. Dix ans après un attentat meurtrier qui avait choqué le pays et stoppé net l’afflux de touristes, les voyageurs étrangers, surtout britanniques, reviennent en masse. Mais derrière cette apparente reprise, une question dérange : à qui profite vraiment ce retour du tourisme ?
Un retour marqué des touristes britanniques
Le 26 juin 2015 restera gravé dans la mémoire tunisienne. Ce jour-là, un attentat sur une plage de Sousse coûtait la vie à 38 personnes, dont 30 Britanniques. L’attaque, revendiquée par le groupe État islamique, avait dévasté le secteur touristique du pays.
Dix ans plus tard, les signes de reprise sont visibles. Dans les grands hôtels de bord de mer, les vacanciers se prélassent à nouveau. À Sousse, par exemple, le directeur du Pearl Marriott, Maher Ferchichi, affirme : «Le marché anglais représente plus de 90% de nos clients européens». Un chiffre qui montre bien la confiance revenue d’une clientèle autrefois traumatisée.
Selon la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, le marché britannique a progressé de 48% à la fin du mois de juin 2025. L’ambassade britannique en Tunisie estime même qu’environ 400 000 touristes britanniques visiteront le pays cette année. C’est presque autant qu’avant 2015.
Des records mais pour qui ?
Le pays espère cette année accueillir 11 millions de visiteurs, un niveau jamais atteint auparavant. Jusqu’au 20 juillet 2025, il y avait déjà 5,3 millions d’entrées recensées. Le secteur est vital pour la Tunisie : il génère environ 700 000 emplois directs et procure les précieuses devises dont le pays a besoin pour ses importations et le remboursement de sa dette.
Mais cette reprise n’est pas égale pour tous. Plusieurs Tunisiens tirent la sonnette d’alarme. Mourad Hadhari, commerçant dans la médina de Tunis, résume le malaise : «Ils viennent juste pour dormir et manger à l’hôtel». Selon lui, les touristes restent enfermés dans les complexes hôteliers, au détriment de l’artisanat et du commerce local.
Les limites du tourisme de masse
En Tunisie, le modèle dominant reste le tourisme balnéaire, qui représente environ 70% de la fréquentation selon Ahmed Bettaieb, président de la Fédération des agences de voyages. Le pays, avec ses plages de sable fin et ses hôtels à prix compétitifs, continue d’attirer pour ses séjours tout compris.
Ce type de tourisme pose problème. Il concentre les recettes dans les grandes chaînes hôtelières, souvent étrangères ou centralisées. Les artisans, guides locaux et petits commerçants peinent à en tirer un vrai bénéfice. «On ne les voit même plus passer dans la médina», déplore un vendeur de céramiques.
Vers un modèle plus durable ?
Alors, que faire ? Selon Dora Milad, présidente de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, il est temps de «monter en gamme». L’idée : offrir autre chose que le classique séjour balnéaire. Par exemple, valoriser le patrimoine, les circuits culturels ou l’écotourisme. Ce type d’offre attire une clientèle plus curieuse, qui consomme davantage localement.
Mais une vraie transition demande des investissements, une solide volonté politique et la coopération des opérateurs du secteur. Et surtout, il faut remettre les Tunisiens au cœur du projet touristique, eux qui en subissent aujourd’hui les déséquilibres.
Un défi collectif à relever
Le retour des touristes en Tunisie est une bonne nouvelle. Il marque la fin d’un cycle douloureux et prouve que la sécurité s’est améliorée. Mais si la croissance du tourisme ne profite qu’à une minorité, elle n’est pas durable.
Pousser pour un tourisme plus équitable, plus ouvert sur le pays réel, c’est aussi éviter que les visiteurs restent enfermés dans leurs hôtels. C’est redonner vie aux médinas, aux marchés, aux traditions. Car un voyage, au fond, ne se résume pas à dormir et manger.